https://www.qwant.com https://duckduckgo.com/ Maude Cochonneau apporte un regard neuf sur l'agriculture, le paysage et le temps
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Jean Tessier

Maude Cochonneau

Amoureuse du paysage

"C’est une de mes motivations pour faire ce métier de paysanne vigneronne, les paysages de la vallée du Loir.

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Paysan, paysage, pays sage.

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Nous avons le privilège de vivre dans un endroit de France où les paysages sont diversifiés : forêts, bosquets, champs, prairies, vignes, lacs, rivière …

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Cette diversité est riche : biodiversité, diversification des ressources, tourisme et BEAUTÉ !!

 

C’est parce qu’il y a une agriculture variée que les paysages sont encore multiples. Soutenir les petites structures paysannes c’est l’assurance de conserver ces vues hors du commun" M.C.

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La ferme du Cochon Zébré
La "Re-création" d'un héritage

Re-création d'un héritage

Peux-tu nous raconter comment tu es arrivée à l'agriculture? Tu as un master de géographie, tu as voyagé, tu n'étais pas trop attirée par ce domaine au départ?

 

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Je dirais même pas du tout, pourtant mes parents avaient la ferme, mais je ne crois pas m'être projetée une seule fois dans mon enfance et mon adolescence à reprendre ou faire un travail agricole.

 

Ça a été la rencontre de trois facteurs.

Après mes études de géographie, j'ai eu un an de chômage à chercher un emploi dans ma branche de chargé de développement, chargé de mission environnemental. « Chargé de...», des termes qui me paraissent complètement absurdes maintenant. J'ai mis beaucoup de temps à trouver et pendant ce temps, il y avait toujours l’envie de créer un projet qui s'ancre dans le territoire de la Vallée du Loir, parce que ça donnait vraiment un sens et du dynamisme à ce que je souhaitais faire.

 

Créer une activité sur le territoire, c'était le deuxième critère.

 

J'ai trouvé un travail dans Vallée de la Sarthe pendant deux ans. Un super boulot dans une petite mairie avec des élus géniaux mais j'ai pris de plein fouet l'inertie politique par rapport à des sujets qui n'ont pas le temps d'attendre, c'est à dire, l'environnement, la pédagogie à l'environnement . On n'a pas le temps de réfléchir si on a tel budget, si ça ne va pas froisser tel élu. Si c'est une compétence de la CAF, de l’inter-communalité ou de la commune. On perd de l’énergie.

Et je pense qu'au fond de moi, l'envie d'être mon propre patron est revenue à la charge.

 

Je me suis dit, si je veux être efficace dans l'immédiat et sur l'endroit que j'aime pour faire les choses en faveur de l'environnement, il faut que je trouve quelque chose où je suis vraiment actrice directe sur le territoire. J’avais envie de travailler sur ce paysage pour y appliquer ce que je pense être bon. J’aurais pu le faire ailleurs, même si ça m'aurait moins motivée.

 

Et puis est arrivé le troisième élément, celui de la création de la ferme avec le proche départ en retraite de mon père.

Ça m'a fait tilt un peu avant ses 60 ans quand j'ai commencé à réfléchir à ce projet. Je ne pensais pas aux terres, j'avais plus d'attaches avec ses vignes. J'avais fait les vendanges avec mon père et mon grand-père. Je me suis demandé ce qu'on allait en faire, si on allait les louer à d'autres gens.


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Côté patrimoine familial, mes grands-parents ont acquis beaucoup de champs en achetant la ruine à côté. Mon père et mon oncle se sont mis à rénover les maisons pour les louer. Ils ont fait un gros travail de réhabilitation du patrimoine. Ils nous ont transmis le côté, on a un patrimoine dont on hérite, qu'est-ce qu'on en fait ? Comment on le valorise et on le transmet derrière ?

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Les trois éléments se sont réunis. L'héritage qui va partir s'est lié avec l'envie de créer une entreprise et l'envie d'avoir un impact, une activité dans la Vallée du Loir.

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Ton père faisait de l'agriculture conventionnelle, quand tu parles d'héritage tu vas quand même à l'encontre d'un certain héritage sur la pratique ?

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Mon père avait des responsabilités politiques dans le monde agricole, d’abord syndicales puis à la chambre d’agriculture. Il avait en tête des problématiques nationales, c’est une grosse machine européenne et mondiale de l'agriculture qui est lancée. Aller à contre courant pour changer de type de production, passer tout en bio à cette échelle là, c'est aussi une inertie énorme, avec des lobbys énormes.

 

Ses préoccupations étaient de maintenir une agriculture française concurrentielle tout en accompagnant les exploitants d’aujourd’hui parfois endettés, parfois en danger. Il était peut être plus dans la gestion des urgences. Il ne se voyait pas changer complètement le système, alors que je voyais plus l'après et l'envie de changer complètement de paradigmes. On n'était pas animés par les mêmes choses.

 

Mon père est mort en 2019, j'avais créé ma ferme la même année. Je ne m'étais pas installée avec lui mais je me suis rendue compte que 75% de son parcellaire était en cours de conversion bio. Je ne le savait pas.

 

La génération d'avant, c'était mon grand-père. On était voisin, je l'ai vu travailler tout le temps. Eux c'était la petite ferme qui fait un peu de tout, qui avait justement un peu de vin, un peu de céréales, un peu de vaches à lait.

Ça s'est fait en très peu de temps. Mon père a un peu agrandit. Il a monté des bâtiments d'élevage de porcs donc il est passé sur une ferme assez classique, mais ça s'est fait tellement vite que j'ai vu travailler la génération d'avant. J'ai connu deux modèles. Je ne suis donc pas complètement à l'opposé de mon héritage.

Le maintien d'un paysage diversifié

Paysage diversifié

Tu peux revenir sur la notion de conservation du paysage que tu avais évoqué? Le paysage n'est en rien naturel, c'est une création humaine.

 

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Ça c'est vraiment issu de ma formation de géographe. J'ai vu et compris les dérives possibles en matière de paysage, quand on fait des monocultures ou qu'on décide de spécialiser des régions dans un type de production, par exemple autour de Nantes avec le maraîchage et la culture de la mâche, le Bordelais et la vigne. C'est de la vigne partout, des céréales partout, il n'y a pas un arbre qui dépasse. Peu importe quel type de culture, ce n'est pas beau, et ce que je vois derrière, c'est toutes les conséquences environnementales.

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On réduit le nombre d'habitat, on appauvrit la biodiversité même si ce n'est que du végétal. Même si ce n'était que de la vigne en bio ça ne serait pas positif.

 

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Par préservation, j’entends aussi la préservation du paysage en terme de qualité esthétique parce que cette Vallée du Loir je la trouve sublime. J'ai trente-deux ans, je ne me lasse toujours pas de la voir. Ce sont les petits vallons, les petits bosquets, un peu de prairies, un peu de champs de céréales, un peu de vignes... et les gens qui viennent le trouve beau et reposant. Il y a quelque chose ici. Des fois je me dit c'est quasiment magique...

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Ma génération a envie de revenir et de se réinvestir sur ce territoire. Alors que mes copains de la fac ne parlaient pas beaucoup de leur lieu de naissance et de vie comme d’un lieu qu'ils affectaient, ce n'était pas un point de retour mais plutôt d'éloignement.

 

Il y a donc ce paysage esthétique et affectif et il y a tout ce que je connais maintenant.

Quand tu lis un paysage, tu sais qu'économiquement il y a de la diversité. Si telle ou telle espèce, d'un coup est ravagée par la maladie comme s'est arrivé sur les vignes, dans une région où elle n’existe qu’en monoculture, c'est un gros désastre économique pour les nombreux salariés, les entreprises et les personnes qui ne dépendent que de cette culture que l'on voit partout.

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La diversité veut dire qu'il y a une stabilité. Elle est forcément gage de sécurité. Un paysage diversifié c'est bien sûr du point de vue écologique des espaces composites, des habitats et des espèces variées.

Dans nos échanges, ça veut aussi dire qu'on a des connaissances différentes, des réseaux différents.

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En tant que chef d'exploitation, tu parlais d’avoir une responsabilité sur le paysage?

 

Avant même d'être chef d'exploitation, je me suis dit qu’on est tous les habitants d'un territoire, on a tous une forme de responsabilité sur le maintien du paysage qui nous entoure. Il n'y a pas que l'activité agricole, ce que j'achète modèle vraiment un territoire. Il faudrait qu'on nous fasse des animations et des projections à partir de ce que l’on consomme pour qu'on comprenne que ce qu'on achète est un petit bout du paysage auquel on contribue ou au contraire que l’on détruit.

J'ai eu plusieurs idées de création d’entreprise comme reprendre l'épicerie de Marçon. En fonction des produits que tu choisis, tu maintiens certaines fermes, certains types exploitations.

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J'ai cherché à avoir une responsabilité encore plus importante justement en gérant un espace. En acceptant d'avoir de la vigne, des légumes (les jus de légumes comme deuxième production) et les céréales je participe à maintenir des paysages différents. J'ai aussi des bois sur le parcellaire que je maintiens, j'ai des champs en agroforesterie et je replante aussi des arbres. Je vais planter des peupliers.

En fonction de ce que tu choisis pour ton entreprise, tu vas modeler l'espace autour de toi.

 

On a eu des subventions pour des plantations de haies, ça va beaucoup changer le paysage sur Marçon. J'ai deux petites parcelles le long de la route de ma ferme, dans quinze ans, on ne les verra plus parce qu'elles seront entourées de haies.

Ce sont les subventions qui ont insufflé les plantations mais il faut faire attention parce qu'à une époque, il y a eu des primes à l'arrachage pour des pommiers. Sur ce plateau, tout autour de nous, il y avait des pommiers à une époque. Maintenant quand tu regardes jusqu'au bois là-bas, il n'y a pas un arbre debout. Donc on est responsable et il faut essayer de garder du recul pour faire des choix qui ne soient pas délétères.

 

Tu vends vraiment en circuit court. C'est une forme de radicalité?

 

Non, je ne pense pas. Pour certains collègues ça peut être perçu comme une forme de radicalité.

 

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La vente du vin à l'export impose le suremballage et le stockage dans des containers...

 

Je n'assumerais pas le paradoxe de me dire, je fais hyper attention à la manière dont je produis. Je me casse la tête et le dos à faire certaines choses manuellement, à prendre des risques parce que je n'utilise pas de produits de traitement trop violents. Je prends des risques économiques par engagement.

Mettre du vin dans des cartons, sur des palettes, emballées dans du plastique qui partent dans des petits camions, puis qui vont ensuite dans des containers (éventuellement réfrigérés, parce qu'il ne faut pas que le vin reste sur un port à 40°c au soleil pendant quinze jours) et qui partent ensuite à l'autre bout du monde, j'ai du mal à le concevoir pour ma ferme.

 

Les gens viennent à la cave ou dans des petits commerces, comme le petit magasin de producteurs qu'on a créé à Ruillé-sur-Loir.

Pour le vin, et les jus, mes produits sont à la cave, au magasin de producteurs, dans des restaurants, des salons de thés, des cavistes...

Pour les céréales, je ne suis pas encore dans le circuit court. Je vends à une coopérative bio. C'est tout un tissu qu'il faut que je créé avec des boulangers, des brasseurs, et de la vente en direct. Je ne sais pas si j’ai le temps et les moyens de le faire dans de bonnes conditions.

Une petite exploitation agricole
Un autre modèle économique

Une économie locale

Pour en revenir sur la vigne, le fait que tu sois en petite production et que tu travailles beaucoup à la main, tu investis peu par rapport aux grosses entreprises ?

 

Sur la ferme, j'ai un hectare et demi de vigne et je vais monter à deux hectares. La ferme en elle même fait cinquante-six hectares, c'est petit. Aujourd'hui on est plutôt à deux-cents, trois cents, quatre cents hectares quand on parle juste de céréales et en moyenne ici en vigne, on doit être à huit, dix hectares.

 

Si on prend l'exemple du rognage : le rognage, c'est le fait de couper en hauteur puis en largeur la vigne. La machine coupe en hauteur ce qui fait que la vigne est taillée au cordeau. Tu coupes l'apex, qui est le bout du rameau et qui correspond un peu à sa tête. C'est ce qui sort en premier du bourgeon. C'est la mémoire de toute l'année donc c'est sûrement un non sens, parce que toi, si on te coupe la tête, il ne se passe plus grand chose. Je veux dire en gros que la vigne est perdue. C'est vraiment un stress énorme et peut-être qu'on la coupe d'informations dont elle aura besoin pour réagir aux aléas de l’année. On se met sûrement une balle dans le pied en faisant ça.

En plus quand on coupe de manière systématique, on supprime certains rameaux qui tenaient très bien et le fait de tout couper créer du stress. La vigne va reproduire de la végétation.

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Elle ressort du bois, des feuilles, elle prend en largeur d'un coup et s’épaissit.

Viennent plusieurs problématiques : il va falloir rogner en largeur parce que ça créé de l'humidité qui va éventuellement développer des maladies. Elle créé du bois et des feuilles inutiles, elle puise dans ses ressources alors qu'elle a déjà ses fruits à ce moment là et qu'elle devrait se concentrer sur eux. Ce sont des vignes qui vont s'épuiser plus vite donc à l'avenir tu auras plus d'amendements à faire. C’est un cercle vicieux.

Quand tu as une petite surface, si tu rognes avec une petite cisaille, tu coupes juste ce qui dépasse et ce qui retombe, elle n'a pas du tout de réaction. Donc c'est moins de matériel, moins d'intrants, moins de produits phytosanitaires.

 

Bien sûr, quand tu as quinze hectares tu ne peux pas tout couper à la cisaille.

Aujourd'hui, le monde agricole est beaucoup tourné vers l'investissement matériel. Il y a des lobbying, on te pousse à investir.

 

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C'est une autre vision de l'agriculture que tu apportes, le fait de retourner sur des petites exploitations, en polyculture et circuit courts. Une petite exploitation apporte une meilleure qualité de vie ?

 

Oui, je trouve, mais c'est vrai qu'il faut vendre à un certains prix. Tu ne peux pas vivre en vendant ta bouteille à cinq- six euros si tu n'as que deux hectares.

Ce que je trouve inspirant dans la manière dont mes grands-parents ont vécus leur vie à la ferme, c'était qu’ils travaillaient de façon très locale. Ce que je ne voulais pas reproduire c'était le travail non-stop parce qu'ils étaient en autosuffisance, ça prenait énormément de temps.

La cave, l'épicentre du Cochon zébré

​​L'épicentre de ta ferme reste ta cave. Tu as organisé des concerts, est-ce que tu as d'autres envies culturelles sur ce lieu?

 

La partie cave est vraiment occupée, s'ajoute la maison, les dépendances et une autre cave qui est vide. C'est sûr qu'il y a de la place pour de l'art, ce que j'ai fait de manière très visible avec Plume qui a refait la façade de la maison. Avec les vignerons, ont invite les artistes à venir dans nos caves au moment de Noël.

Je me dis que c'est peut-être un bon lieu pour des productions artistiques; spectacles, théâtre... On a fait une soirée avec l'Assom’nambule et ça s'y prête bien. J’y réfléchi parce que à la fois je ressens aussi le besoin d'avoir un lieu ressource.

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