synapsis
Exemples d'énergies citoyennes et rurales
Chateau-du-Loir
L'association des Trois Vallées du Pays de Racan
L'association des Trois Vallées du Pays de Racan est née en 1989 dans les locaux du Collège de Neuvy-le-Roi à l'initiative du Principal Didier Montagné.
Au moment où cette zone rurale subissait un fort déclin économique et culturel menaçant le canton d'un exode rural, Didier Montagné est allé à la rencontre des parents d'élèves du collège et des habitants pour réfléchir ensemble à un avenir soutenable. La synergie entre les personnes, leurs initiatives et l’occupation d’un espace commun a vu grandir l’un des premiers tiers-lieux non-institutionnels en France.
Retour sur cette dynamique avec Jean-Yves Pineau, membre actif de cette association et fondateur des Localos.
La genèse du tiers-lieu: se nommer, s'identifier
Comment est né le tiers-lieu au collègede Neuvy-le-Roi dans les années 90?
Ce qui déclenche l'aventure c'est l'arrivée du principal du collège de Neuvy-le-Roi, Didier Montagné.
Il a fait l’analyse qu’on lui confiait un collège qui allait perdre sa mission première : celle de la formation initiale, parce que le territoire dans lequel cet établissement s’inscrivait s’appauvrissait et qu'il y avait de moins en moins d'élèves. Le fait qu'il y ait moins d'élèves donne moins de moyens au niveau de l'académie et du département. C'est un cercle vicieux, alors si on veut répondre à la question du collège et de sa mission initiale, il faut faire un détour par le territoire.
Didier Montagné rencontre donc des parents d'élèves en tenant ce discours : « Si vous croyez en la laïcité, si vous avez envie que vos enfants soient aussi bien éduqués à Neuvy-le-Roi qu'à Tours ou ailleurs, on vous propose de réfléchir à l'avenir de ce territoire ».
Ensemble, ils décident de la création de l’association des Trois Vallées du Pays de Racan.
C’est une expérience originale qui a mis au cœur de la démarche, à la fois le collège et la construction d'un autre avenir via un projet de développement local. Elle était d'ailleurs « combattue » par des élus qui pensaient que « de toute façon, on était définitivement déclassés et définitivement sans avenir…". C'était dit comme ça et c'était très violent.
Un autre élément de cette aventure s'explique par le fait que ce territoire n'existait pas : c'était le Nord de Tours et les tourangeaux n'arrivaient pas à situer ni Neuvy-le-Roi, ni les autres villages.
Il y a eu cet acte symbolique et culturel très fort de se nommer. Les habitants de ce territoire ont décidé de s'appeler Pays de Racan. Cela leur a permis de se dire : "Maintenant, j'habite quelque part. J'ai les moyens d'habiter".
Se nommer est donc un acte symbolique, mais aussi de pratique. C’est : comment on arrive à se sentir bien dans un lieu parce qu’on est acteur de ce lieu et qu’on se donne l’autorisation de le transformer collectivement pour y vivre mieux ?
Quand on regarde le développement territorial des petites communes, on s'aperçoit en effet que ce qu'on fabrique c'est du logement, ce n'est pas de l'habitat. On ne donne pas aux personnes les moyens d'habiter de manière « qualitative ».
Tout est parti de ce collège qui a osé porter un diagnostic et surtout qui a osé porter de l'espoir en se demandant comment on transforme un équipement en un lieu énergisant pour le territoire ? En le mettant au service des personnes et des dynamiques.
Comment on déplace des équipements et des outils pour les mettre au service d’une cause d'intérêt général ?
On est dans les détours et c'est parce qu'on va prendre ces détours qu'on va pouvoir se nourrir les uns, les autres.
Le choix de l'association des Trois Vallées du Pays de Racan a été de parler de culture, en créant notamment un festival et ensuite, la Maison des écritures. Mais c’est pour mieux répondre à la question plus prosaïque de l'économie locale. Une économie qui trouvait du sens en s’éloignant de la mondialisation et de sa mise en marché, les agriculteurs et agricultrices ayant choisi de se diversifier avec une production locale et un marché relocalisé.
Comment a-il été possible de décloisonner l’Éducation Nationale et de l’inclure dans le territoire local ?
Si on veut rester dans l'instantanéité de ce qui s'est passé, on peut dire qu'il y a eu des opportunités et des libertés qui ont été saisies, notamment par Didier Montagné, pour se donner de la latitude. Ce temps de l'opportunité (le « Kaïros ») est particulier et on ne peut pas le retrouver si on ne le saisi pas au bon moment.
C'était l'époque où le Ministère de l’Éducation Nationale, avec la Décentralisation, confiait pas mal de charges et de financements au niveau des départements et demandait aux collèges d'enseignements généraux de construire un projet d'établissement.
Cela avait été entendu par le principal comme étant une possibilité d’ouverture du collège vers le territoire dans lequel il est conscrit.
On voit bien que dans le système de l'éducation nationale aujourd'hui, notamment autour des lycées et des collèges, on est dans un repli du personnel encadrant, des administratifs. Ils vont mieux se porter s'ils ne prennent aucun risque. Ça a toujours été une tension très forte d'ailleurs au sein même du collège de Neuvy. On avait parmi l'équipe pédagogique très peu de profs qui étaient volontaires, habités par le projet même de l'établissement.
Quelle place ont eu ces jeunes dans la prise de décision et la conduite des animations?
Ils avaient le choix de s'inscrire ou pas à des animations, mais il n’avait pas encore été mis en place d’instance de gouvernance. Il n'y avait pas de représentation de voix y compris délibérative par les jeunes, même si les intentions étaient bonnes.
Ce qui leur était proposé, c'était d'être acteur d'une partie de leur parcours en ayant des activités qui pouvaient paraître très originales pour le secteur.
Ce qui a été passionnant pour eux me semble-t-il, c'est qu'il y a eu d'un coup une aventure, un lieu étonnant, bizarre, aléatoire qui était le collège.
On pouvait faire du golf, aller à la pêche. On pouvait participer à des évènements comme la recherche ethnologique, des ateliers de cuisine, participer à des rencontres entre anciens et jeunes sur des échanges de savoir-faire tel que le jardinage ou d'autres pratiques. Le collège accueillait même les parents qui pour suivre une formation, qui pour tenir des réunions des Trois Vallées du Pays de Racan.
Ça a été des options très originales parmi les premières en France et le collège a été l’un des premiers à être relié à internet, en 1995.
Il y avait des signes qui permettaient aux élèves de se dire : "Finalement, on n'est plus des bouseux. On peut avoir les bons codes de la bonne société avec les technologies modernes ». Et en même temps, grâce à des expériences concrètes ils pouvaient se réapproprier leur milieu de vie, leur territoire.
On transgressait cette règle soi-disant lumineuse de l'Universalisme qui masque complètement les singularités des lieux. En effet, dire : « Que tu sois à Neuvy-le-Roi, à Marseille ou à Paris, tu trouves les mêmes élèves» est pour moi un universalisme idiot et violent qui lisse les personnes comme leur territoire. Il ne révèle pas les richesses, les aspérités, les creux et les bosses.
C’était un tiers-lieu (avant la lettre) où la gouvernance était certes originale, mais pas du tout encore aboutie, puisqu'elle était essentiellement entre l'équipe du collège et l'association.
Elle a compté jusqu’à 250 membres, dont au moins une centaine de bénévoles actifs, c'était vraiment une très forte association.
On a eu très vite des personnes qui sont venues voir ce qu'on faisait. Cette expérimentation a montré que des opportunités locales ne peuvent pas être reproduites partout sur un modèle industriel mais, et c’est le plus important, que n’importe quel territoire pouvait s’inscrire dans une démarche de mieux vivre en misant d’abord sur les énergies locales, les habitant.es.
On a maintenant un peu de recul sur cette dynamique des années 90 – 2000, qu'est devenue cette jeunesse? Comment s'est-elle appropriée ces nouveaux outils?
Les témoignages et les actes que l'on a sont peu nombreux, mais on voit que des mômes qui sont partis, sont revenus avec des idées en tête de créativité et de prise en charge de l’animation de la vie locale. Je pense notamment au festival des Kampagn’arts et à l’asso « Bouge ton bled ».
Je pense que si on devait en tirer une généralité, on a ici la preuve que lorsqu’on propose à des jeunes autre chose que ce qu'on leur demande d'apprendre sagement et de restituer sagement, quand on leur fait confiance et quand on leur donne du grain à moudre ça augmente les personnes.
Créer ce tiers-lieux a été une révélation pour les élèves, mais aussi pour leurs parents ont vécu une parentalité différente. Ça allait au delà du temps du collège parce que les parents embarquaient leurs mômes en dehors des heures de cours. Ça parlait politique, même si ça n’était pas au sens de la politique partisane, mais de comment on agit sur notre milieu de vie.
Cette capacité à se penser actrice et acteur de sa vie sur son territoire et de se dire: « Ce que je veux vivre, je peux le réaliser », je trouve cela extraordinaire.
A partir du moment où on crée une dynamique, s'agrège d’autres dynamiques et d’autres énergies. C'est ce qui s'est produit avec la maison des Écritures. Il y a une forme de mécanique heureuse qui produit des bouleversements personnels et des bouleversement collectifs. On transforme le territoire et le territoire nous transforme.
Ce que je viens de dire a été à la fois la base, le socle de cette aventure jusqu’aux Localos.
Les traces qu'elle laisse m’ont permis d'en faire une recherche-action sur ces questions de l’habitat (comment vivre mieux dans son petit mètre carré ?), des dynamiques territoriales (comment vivre mieux dans son petit kilomètre carré ?) sans attendre l'autorisation de l'Europe, de l’État, ni de la région ou du département. En cela, c'est une reprise de pouvoir évidente. C'est une forme de développement local qui se définit au plus près de là où vivent les gens sans doctrine libérale et capitaliste.
Matérialiser son espace
N’est-ce pas aussi une reprise de la parole et donc du vocabulaire par les habitants ?
Le sens des mot est souvent détourné à l’usage de la société libérale et capitaliste.
Renucci a cette phrase : "on subsiste, on existe et on consiste".
On l’a vu, pour exister, on a besoin de manger, de se loger, d’avoir un toit, mais il faut aussi pouvoir mettre la main à la pâte.
Pour pouvoir consister, il faut être dans un environnement qui nous permette l'expression.
C'est ce qui est au cœur de toute démarche de développement local y compris dans la désignation, dans le vocabulaire et dans la grammaire puisque c'est ce qui nous donne les codes de notre manière d'être au monde et de le comprendre.
Aujourd'hui, quand on parle de culture, on nous répond divertissement culturel, alors que la Culture c'est ces codes qui nous sont transmis. On ne les requestionne absolument pas et on a très peu de moyens de le faire, donc on les subit.
Pour réaliser tout ça, il faut un lieu pour se retrouver, pour échanger, que ce soit un tiers-lieu et même avant cela : un café, une place publique ?
Oui, les cafés sont les premiers tiers-lieux. Ce qui est important c'est des lieux physiques, mais c'est aussi des lieux immatériels, c'est à dire, un ailleurs plus réjouissant que le présent que l'on vit.
C'est ce qui donne l’envie et la possibilité aux personnes de se retrouver, de faire commerce, au sens premier du terme. Comment on redonne du goût à se resocialiser dans une société qui ne fait que nous désocialiser et nous donner envie de rester à distance et dans l'entre-soi ? C'est ça aussi l'intérêt de la rencontre, des lieux d'échanges et des débats. C'est complètement essentiel de réapprendre que la richesse passe par les autres différents de soi.
La définition du tiers-lieu fait difficilement sens dans la mesure où cette terminologie est de plus en plus reprise par les services de l’État avec France tiers-lieu. J'ai le sentiment que cela laisse moins d'autonomie et de créativité aux personnes pour construire leur propre espace.
Est-ce qu'on ne va pas vers une uniformisation du tiers-lieu que l'on soit à Château-du-Loir, à Marseille, à Besançon?
Pour moi le tiers-lieu tel qu'il est évoqué aujourd'hui n'est pas le sujet. Aujourd'hui, il désigne plus un institué qu'un instituant. Ce qui est complètement essentiel aujourd'hui c'est d'être dans l'instituant. Ce qui va être instituant c'est: ici un marché, là une ferme, là un café citoyen.
La confusion sur le terme « tiers-lieu » est une belle aubaine pour ce système libéral qui va proposer des équipements, en mode dégradé, permettant de remplacer (ou pas), des services publics. C'est vraiment le cœur du basculement du tiers-lieu, un peu punk au départ, vers l'équipement qui doit offrir pour survivre des services publics, qui plus est en mode dégradé. C’est ce que j’appelle le tiers-lieu institué.
Ce qui me parait être complètement essentiel pour l'avoir éprouvé c'est ce que j'appelle "le grain à moudre". Ce "grain à moudre" là, peut être très minuscule et simple, mais il donne à voir, à penser et à vivre des événements qui sont plus joyeux, plus intéressants pour les personnes qui s'y mettent.
Ça peut s'arrêter là, mais ça peut aussi faire politique et si ça fait politique, ça fait projet de développement local. Je pense que le charme et tout l'intérêt du développement local est ce "grain à moudre".
Ce grain à moudre est à la fois un détour et une mécanique vertueuse. Et on peut arriver, par exemple à promouvoir plutôt le sociétariat que l’actionnariat et donc créer des sociétés coopératives qui d’emblée seront dans la production et le soin du commun avant que d’être dans la recherche du profit quoiqu’il en coûte pour les humains et pour l’environnement.
C’est de l'utopie concrète. Saint-Paterne-Racan s'inscrit selon moi dans cette démarche de village tiers-lieu, mais aussi de « coopérative intégrée de territoire ».
Les Localos
Collectif des projets en campagne, du développement local, de l'autonmie et de l'impertinence
Pouvez-vous nous raconter les activités de l’association Les Localos dont vous êtes le directeur ?
L'idée des Localos au départ et à l'arrivée c’est d'être en capacité de rêver à la construction d'un système alternatif qui ne soit pas celui que l'on connaît : dominant en Europe et un peu partout dans le monde qui nous met dans une situation où peu de personnes ont envie d'être et qui nous conduit vers une in-habitabilité de la planète.
Notre analyse de départ est de dire qu’on est sur un système violent depuis trois siècles que j'appelle "Un grand récit mensonge". Sous les vocables et les imaginaires de « progrès » et de « modernité », on s’aperçoit qu'il y a juste un détournement de concept au bénéfice de quelques-uns qui s'articule autour du profit, de la propriété privée tout en étant finalement hors-sol.
On part de cette idée du monde comme un local + un local + un local et non l'inverse sinon on est dans une dictature. Même si un certain nombre de population ne vit pas dans un système dit "capitaliste" il en subit les conséquences et les outrages tous les jours.
On se dit qu'ensemble on va pouvoir réfléchir à produire de manière différente ce dont on a besoin en essayant de s'attaquer aux idées de « non-communs » (de "communs négatifs"), en pensant à des systèmes, et des outils qui peuvent s'imbriquer et faire système.
Ce qui nous rend joyeux et tenaces ce sont ces actions là. Dans les sociétés coopératives vous allez pouvoir répondre aux besoins extrêmement complets des personnes: sur la sécurité alimentaire, sur la sécurité sociale de la mobilité. On voit qu'à partir du moment où on rassemble les énergies cela fonctionne.
Mais, qui va prendre le temps et avoir les moyens de rassembler ces énergies ? On tombe dans ce qui fait système aujourd'hui ; s'il n'y a pas le capital permettant de donner l'investissement et de payer les gens, il ne se passe rien.
Chez les Localos, on pense la Nuit de la démocratie et des territoires comme étant un outil d'éducation populaire ayant vocation à essaimer. Cela donne des bonnes excuses et de bons prétextes à se réunir partout pour réfléchir à ce qui compte le plus, ce à quoi on tient le plus.
Je pense qu'organiser des cycles de Nuit de la démocratie sur un territoire cela fait circuler une foule d’informations et de réflexions qui peuvent être d'une richesse incroyable.
Je dis souvent qu'il faut qu'on sorte d'une démocratie d’opinion pour être dans une démocratie qui s'élève et qui a un avis un petit peu plus éclairé. Cela passe par du temps d'écoute, d'échange, plutôt que simplement de l’affirmation (j’aime, je n’aime pas).
Quand on regarde ce qu'il se passe ici ou là, on est pour le moment englué dans des débats avec les problèmes d'entre-soi, les problèmes de violence et de non écoute.
On a testé quelques outils vraiment intéressants comme les faux procès.
L'idée des faux procès est assez ludique. C'est comme un vrai procès et les jurés sont le public. Il y a un président, un avocat, des procureurs et des témoins. Ce qui permet malgré tout, un temps où on va entendre des arguments pour et contre. C'est le même principe que cette idée de dire: « Comment on ose aborder des sujets graves tout en s'écoutant et en prenant du temps de réflexion ? »
Nous avons fait le dernier faux-procès avec le réseau des tiers-lieux creusois dans le Tribunal de Guéret. On a fait le faux-procès des tiers-lieux.