
Synapsis
Exemples d'énergies citoyennes et rurales
Chateau-du-Loir

Construire la paix...
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J'ai vu des gens qui avaient posé des actes de paix au cœur de la guerre et j’ai appris par ces approches très concrètes que maintenir des formes de liens au cœur même du conflit établit d'une façon radicale que la paix ne se confond pas avec la fin de la guerre.
On ne rentre pas indemne de ce type de rencontres. Ces expériences m'ont permis de continuer à méditer sur la construction de la paix dans les décennies qui ont suivi.
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... du mondial au local
Engagé dans des associations humanitaires, Jean-Pierre Dardaud nous propose sa définition de la Paix et les dispositifs pour la maintenir vivante et durable.
Depuis ses expériences de jeunesse, jusqu’à la rencontre de personnes en lutte pour le maintien du vivre ensemble entre les communautés déchirées sur les zones de conflit, il retrace les moments importants de son parcours qui l’on conduit à militer pour la paix à l’étranger comme ici dans le Sud-Sarthe.
Qu'est-ce qui dans ton parcours t'as amené à concevoir ici
une fête de la paix?
La construction de la pensée depuis l’enfance jusqu’à la vie étudiante :
Le premier souvenir d'un conflit qui me touchait remonte à mon enfance. Mon père travaillait pour un grand fermier de la Brie qui un beau jour avait brutalement interdit aux enfants que nous étions de jouer dans la cour. Mon père avait considéré que c'était vraiment un acte de pouvoir arbitraire injuste et avait pris par le col, le patron qui l'employait. Ce souvenir très marquant a été pour moi une première forme d'alerte sur les rapports de domination et sur le vivre ensemble. C'était une situation troublante avec un conflit qui aurait pu amener à de la violence.
Plus tard, lorsque je suis devenu étudiant, j'ai eu la chance de faire la connaissance d’un ancien objecteur de conscience radical qui avait fait la guerre d'Algérie. Il tenait une maison familiale autonome et participative dans les Pyrénées et il accueillait de jeunes volontaires dont je faisais partie.
Il avait refusé de porter les armes alors qu'il s’était engagé. C'était presque pire qu'une désertion et cela lui a value d’être largué en plein désert par son bataillon. Il a abandonné ses armes et il s'est présenté à mains nues au bataillon fellaga qu'il combattait. Il a été accueilli, nourri et protégé par ceux qui étaient ses ennemis. Le fait qu'il ait été sans arme a été une possibilité de fraternisation.
Je découvre l'objection de conscience par cet exemple là alors que je fais mes études à Toulouse. Entre étudiants on baigne dans un foisonnement de mouvements politiques et avec des amis on monte un groupe d'autonomes avec un drapeau transparent pour se démarquer de toute affiliation partisane. On fait des interventions de théâtre et des débats dans la rue. On réfléchit beaucoup sur la militarisation de la société et sur toutes les mécaniques d'embrigadement à l’œuvre.
Pas seulement l'embrigadement par le service militaire mais aussi dans le monde de la santé (notamment la santé mentale), dans celui de l'éducation aussi. Je découvre l'enseignement Freinet et d’autres formes de pédagogies plus émancipatrices.
Une première expérience dans la solidarité internationale en Inde :
Mon engagement était donc lié à un positionnement politique par rapport à l'armement de la société et à l'embrigadement du citoyen.
Sous cette influence là, je me trouve confronté à la question du service militaire.
L'objection de conscience existait déjà mais je trouvais que c'était trop un compromis. Il restait l'insoumission qui m'exposait à deux années fermes de prison.
Sous la pression de mon entourage, j'ai fini par accepter de faire des compromis et je me suis engagé pour trois ans dans une association qui faisait du développement rural en Inde Les dix-huit premiers mois étant considérés comme du service militaire de coopération.
C'était une double contradiction pour moi de profiter du privilège d’avoir pu faire des études supérieures pour éviter le service militaire que je m’étais engagé à combattre.
J’atterris dans des villages très pauvres au fond de la campagne de l'Inde du Nord pour travailler à l’émancipation et à l'amélioration du sort de familles de paysans « intouchables » très pauvres, par de l’éducation populaire, la consolidation de leurs droits sur les lopins qu’ils cultivent, et la construction de puits pour développer l'irrigation.
Ici, je découvre la violence sociale ordinaire qu'ils subissent de la part des hautes castes mais aussi la violence politique de la région.
Il y a des milices privées pilotées par les gros propriétaires et qui maintiennent les travailleurs agricoles sous leur pression. Il y a en même temps, un mouvement révolutionnaire : les Naxalites.
Leurs membres sont dans la jungle qui jouxte les villages. Ils font des raids contre les gros paysans au nom de l'élimination physique des ennemis de classe.
Je découvre un climat de guerre civile larvée et une grande violence dans les rapports sociaux.
Mais je suis en même temps amené à collaborer avec un mouvement gandhien de redistribution des terres, donc je découvre aussi une pratique de la non-violence qui favorise l'auto-organisation des populations les plus défavorisées pour qu'elles aient plus de capacités à affirmer leur dignité et leurs droits.
La rencontre avec des militants pour la paix
au cœur du conflit libanais
Quelques années plus tard, j'ai à nouveau des responsabilités dans le monde de la solidarité internationale et j'ai l'opportunité de faire des missions au Liban.
Après les dix-sept années de guerre civile, j'avais pour mission de récolter les témoignages des libanais qui avaient vécu le conflit, pour savoir comment ils avaient porté le drapeau de la paix.
J'ai rencontré un père de famille qui était un fervent partisan pour maintenir les passerelles par dessus la ligne de front qui séparait les communautés. Il était chrétien et il a continué à scolariser ses enfants du côté musulman alors qu'il y avait affrontement entre ces deux communautés. Chaque jour, il emmenait ses enfants à l'école de l’autre côté de la ligne. Par cet acte quotidien, il tenait à marquer sa résistance au déchirement qu'instaure la guerre.
J'ai donc appris comment on pouvait être un militant de pacification même pendant la guerre.
J'ai également rencontré deux femmes exceptionnelles qui avaient travaillé dans les camps de réfugiés palestiniens au Liban et qui étaient parvenu à associer toutes les communautés du pays pour monter un centre d'accueil intercommunautaire des enfants handicapés de naissance et victimes de la guerre. Ce centre s'appelait Le Jardin de la Paix.
J'ai vu des gens qui avaient posé des actes de paix au cœur de la guerre et j’ai appris par ces approches très concrètes que maintenir des formes de liens au cœur même du conflit établit d'une façon radicale que la paix ne se confond pas avec la fin de la guerre.
On ne rentre pas indemne de ce type de rencontres. Ces expériences m'ont permis de continuer à méditer sur la construction de la paix dans les décennies qui ont suivi.
Lutter pour la paix en luttant contre la pauvreté et la précarité
Après mon expérience dans la solidarité internationale, j'ai cherché à valoriser mes contacts et les partenariats pour mener des campagnes très centrées sur les luttes contre la pauvreté. Je faisais partie de ceux qui cherchaient à explorer des passerelles entre la lutte contre les inégalités et la paix.
On sait très bien que les guerres profitent aux riches. Ce sont des périodes de spéculation mais ceux qui paient la facture humaine et économique sont les gens les plus modestes.
À partir du moment où on lutte contre la pauvreté, on lutte pour le maintien de la paix car la guerre est en soi un facteur d'accroissement de cette pauvreté.
Cela s'est notamment traduit par une campagne qui s'appelait « Désarmer pour combattre la pauvreté ». Elle s'est développée à partir d'un triangle Inde, Pakistan, France. Ces deux pays qui se faisaient la guerre, étaient clients pour acheter des armes à la France. On a réfléchi à comment solidariser des gens qui pâtissent de ce joli petit système en place qui fonctionne sur le dos des habitants les plus pauvres de ces trois pays. En appelant à une réduction de 10 % des dépenses militaires qui pourrait financer l’amorce, en Inde notamment, d’une sécurité sociale pour tous les travailleurs du secteur informel qui forment plus de 90 % de la population active.
De même, si la France réduisait ses dépenses militaires, elle aurait plus d'argent pour faire du social et du culturel.
Définir ce qu'est la Paix

La Fête de la Paix dans le Sud-Sarthe
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Même sans structure formelle on montre qu’il est possible de se relier aux institutions du territoire : communes, écoles,... On entre en dialogue et on coconstruit. La dynamique même de préparation de la fête est ouverte à tous. C'est en soi un acte de culture de la paix par le dialogue et la coopération.
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Comment est née la Fête de la Paix dans le Sud de la Sarthe ?
Première inspiration :
Le Kaki Tree Project
Au tournant des années 2000, avec quelques copains du Sud-Sarthe on s’est dit que l'arbre était très présent dans l'imaginaire local. Notre idée était de réfléchir à des petites animations pour mettre en valeur cette présence culturelle de l'arbre alors on a monté une association qui s'appelait Autour de l'arbre.
Il se trouve que l’un d’entre nous a rencontré une association japonaise qui s'appelle Kaki Tree Project. Elle a été fondée par des Japonais qui ont décidé de récupérer des graines de plaqueminier ayant survécu à la bombe de Nagasaki et de disséminer ces plans d'arbres un peu partout dans le monde. Un de ces plants, descendant de la bombe, est planté devant le musée Jean Lurçat à Angers.
Cela nous a donné l'idée de faire le lien entre l'arbre et la paix.
Création de la Journée Internationale de la Paix
par l’O.N.U.
En 2001, nous sommes bousculés par les évènements du 11 septembre. Nous découvrons l'existence de la Journée Internationale de la Paix qui a été créée à New York quatre jours avant les attentats.
Portée par l'association Autour de l'arbre, on met en place un projet qui s'appelle la Forêt de la Paix. L'idée est de s'inspirer de la lecture de L'Homme qui plantait des arbres de Jean Giono et de planter une petite forêt, avec la participation des habitants, qui pourrait accueillir des activités et des manifestations dédiées à la paix. Nous avons tenté d’amorcer une dynamique collective intergénérationnelle près du Mans.
Ce projet n'a pas abouti mais il a permis de créer de nouveaux contacts notamment avec l'association Concordia qui organise des chantiers internationaux pour la jeunesse.
Sa directrice, qui faisait partie de notre collectif, a eu un échange avec le maire de Thoiré-sur-Dinan. Ce dernier a mis à la disposition de Concordia l'école du village. Ce qui a permis que
la Forêt de la paix se déplace de la ville vers la campagne du Suf-Sarthe.
De la Caravane de la Paix à la Fête de la Paix.


On a d’abord eu l'idée d'une caravane de la paix qui traverserait la Sarthe. Elle était animée par un copain indien, un partenaire africain et l’association Concordia.
Elle est partie de Sillé-le-Guillaume où on avait des contacts avec Fréquence Sillé la radio du lycée.
On a fait une émission de témoignages et de questions/réponses avec les élèves.
Ensuite, on s'est déplacé sur le Mans où on avait rendez-vous avec Emmaüs qui organisait une maraude auprès des sans-abris.
La troisième étape était une rencontre avec les chantiers d'insertion de l'Atre, suivi d’un échange sur la précarité vécue en Inde, en Afrique et en France.
La caravane s’est terminée dans la convivialité par une fête à Thoiré-sur-Dinan. Tout le monde a trouvé ce moment de partage tellement chouette qu’on s’est dit « pourquoi pas faire une fête de la paix chaque année ?! »
C'est donc à Thoiré-sur-Dinan qu'a été posé l'acte de naissance du projet de la Fête de la Paix. Nous avons enraciné ce projet dans le village pendant quatre années de suite.
Dans les premières années, Concordia organisait un chantier international de jeunesse pendant l'été où elle préparait la fête qui avait lieu autour du 21 septembre. On tenait à cette date qui permet de relier notre initiative à la résolution adoptée à l’unanimité par l’O.N.U. le 7 septembre 2001.
Résolution trop méconnue par laquelle "les Nations Unies engagent tous États membres, les organisations non gouvernementales et les particuliers à célébrer comme il convient la Journée Internationale de la fête de la Paix, y compris au moyen d'activités, d'éducation et de sensibilisation et à œuvrer de concert avec l'Organisation des Nations Unies à l'établissement d'un cessez le feu mondial".
Ensuite, on a eu la chance de rentrer en contact avec le Centre social de Loir et Bercé. Le directeur a proposé d’inscrire la fête dans le programme des animations du centre et aussi insufflé l’idée que la fête pourrait circuler de commune en commune.
Cette aventure a pu durer parce qu'il s'est constitué un petit noyau de personnes qui chaque année depuis 20 ans, apportent leurs compétences : plusieurs dans le champ du travail social, un passionné de l'animation musicale, un cuisinier hors pair, pendant longtemps un journaliste local.
Il y a une mise en commun des ressources et du matériel avec les communes ; l'Esat des Oiseaux associé dès la première fête donne un arbre de la paix chaque année. On tient de façon complètement informelle car Autour de l'arbre est dissoute depuis longtemps. Même sans structure formelle on montre qu’il est possible de se relier aux institutions du territoire : communes, écoles,... On entre en dialogue et on coconstruit. La dynamique même de préparation de la fête est ouverte à tous. C'est en soi un acte de culture de la paix par le dialogue et la coopération.
Les ingrédients de la Fête de la Paix :

Une gratuité radicale
Il n'y a pas d'argent qui circule dans l'organisation de la fête. On ne demande aucune subvention à la commune. Le seul besoin d'argent que l'on puisse avoir est la déclaration auprès de la SACEM.
Cette gratuité n'est pas uniquement la question de l'argent. Pour nous, cela signifie de faire les choses sans calcul. C'est à dire qu'on ne vient pas à la fête pour se mettre en avant ou pour s'attirer une clientèle.

Valoriser les talents locaux qui contribuent au vivre-ensemble d'une façon ou d'une autre et sans à priori
Par exemple, dans le domaine de l'expression artistique, des contes, de la musique de tout genre. Il y a eu des initiations au cirque et aux arts martiaux. Il y a aussi eu des initiations à des métiers. Nous avons accueilli des ateliers de sculpture sur pierre animés par des artisans.

La soupe de la paix
C'est un pilier extrêmement fédérateur de notre programme.
Elle incarne complètement la gratuité. Les légumes sont apportés, chacun partage la pluche.
C'est cuit et partagé sur place. On la cuisine au chaudron.

Une mobilité
de la fête
Le Centre Social de Bercé a intégré la fête de la paix dans son programme pluriannuel pendant des années après notre première installation à Thoiré. Cela nous a permis de ne plus rester dans la même commune mais au contraire de voyager.

L'intergénérationnel
Le côté intergénérationnel a surtout été porté par les enseignants des écoles parce que cela entraîne les élèves et leurs parents. On n'a pas réussi à attirer les adolescents.
On est actuellement confronté au renouvellement du groupe porteur initial. On est dans cette dynamique de passer le relais à la nouvelle génération et on est en contact avec de jeunes institutrices qui sont très intéressées par la Fête de la Paix.

L'arbre de la paix
C'est l'autre figure qui est restée de l'association Autour de l'arbre. À chaque fête on plante l'arbre de la Paix.
Les processions les plus courantes où des humains accompagnent un être en terre saluent la fin d’une vie.
Ici, on accompagne un arbre sous la forme d'une procession et on le plante en terre pour qu'il vive longtemps.
L'arbre et la paix, une symbolique essentielle
Dans nos imaginaires, l'arbre est un fédérateur. On se rassemble autour de lui parce que c'est un commun et qu'il nous rend humain. Pour moi, il a vraiment à voir avec la paix. Parmi les vivants, c'est lui qui a le plus de ténacité.
L'effort que demande la paix est un travail de longue haleine où on ne lâche jamais l'affaire et l'arbre incarne à la perfection cette dimension. Il traverse nos générations humaines, il nous invite à nous inscrire dans le temps long. ll nous dit:
- "Tu viens de loin. Si tu viens de loin et que tu es vivant aujourd'hui c'est que la paix a été plus forte que la guerre. La vie a été plus forte que la mort".
Il y a dans l'arbre cette puissance d'évocation que la guerre jusqu'à présent a toujours perdu.
Sur la bataille fondamentale de la vie, ce n'est jamais la guerre qui a gagné jusqu’à présent, sinon on ne serait pas là.
Pour moi, c'est très puissant et très ressourçant. C'est tout sauf du fantasme, c'est simplement regarder notre réalité.A chaque époque, à chaque génération de ne jamais laisser la guerre avoir le dernier mot.
Quand cela a été possible, on a planté le plaqueminier parce qu'il était en résonance avec notre projet, autrement, on a une approche pragmatique et on laisse les communes choisir leur essence.
D'une certaine façon, la forêt de la paix existe dans le territoire d'une façon un peu plus étalée que ce qu’on pensait à l’origine du projet !
Que devient l’arbre dans les communes ? Est-ce qu’il devient un ancrage pour d’autres animations, d’autres symboles ? Est-ce que quelques chose naît par la suite ?
Tu touches là les limites de notre projet. Un des freins de notre formule, c'est le peu de mobilisation des habitants. On fait des choses très participatives, on associe des élus mais très peu d'habitants participent à la fête. Cette problématique n'est pas simple et elle renvoie à notre rapport actuel au collectif. Notre convivialité ne met pas assez en avant que la paix c'est aussi se secouer les puces.
Dans la maquette de la fête, on n’a jamais posé la question de l'après fête. Par exemple, on plante un arbre sans que cela donne naissance à autre chose dans le village après le passage de la fête.
Le problème est aussi que l’on est dans la culture dominante de la consommation d'évènementiel.
On a par ailleurs, la problématique de la gestion des traces et de recenser tous les arbres que l’on a planté. Il serait temps de faire cet inventaire car il repose sur nos mémoires et on perd des choses qu'on a vocation à transmettre.